Des scientifiques mettent en cause la responsabilité de
divers agents chimiques dans l'induction et le déroulement
d'une EMI. Si la plupart des hypothèses s'avèrent
peu convaincantes, quelques-unes pourraient toutefois fournir une
explication partielle du phénomène et offrir une
piste de recherche intéressante.
a) Les substances neurotropes à visée
thérapeutique
Il existe une grande variété de molécules
présentant une affinité marquée pour le tissu
nerveux, on les appelle neurotropes. D'origine naturelle ou
synthétique, ces molécules entrent dans la
composition de nombreuses spécialités
pharmaceutiques. Les plus fréquemment citées afin de
rendre compte d'une EMI sont les anesthésiques, les drogues
utilisées pour leurs vertus sédatives et/ou
analgésiques et certains psychotropes (substances ayant une
activité sur le psychisme).
Il est nécessaire de distinguer d'emblée, au
sein des psychotropes, les drogues hallucinogènes de celles
à visée exclusivement thérapeutique. Les
hallucinogènes, surtout les psychédéliques,
sont d'excellents vecteurs d'états modifiés de
conscience dont certains présentent une parenté
frappante avec les EMI. Cette capacité à induire des
états modifiés de conscience sur-réels
est d'ailleurs la raison principale de leur consommation dans
nombre de pratiques sociales, traditionnelles et contemporaines.
Mais le contexte de leur utilisation est différent de celui
des substances pharmacologiques évoquées ici.
Les narrations de patients auxquels on a administré de
telles substances, essentiellement des anesthésiques ou des
sédatifs, n'ont pas grand chose en commun avec les
récits de nos expérienceurs ; à l'exception
du cas particulier de la Kétamine, un anesthésique
sur lequel nous reviendrons. Ainsi, les opiacés, dont la
morphine par exemple, outre leurs vertus analgésiques,
possèdent un puissant pouvoir sédatif mais peuvent
aussi induire délires et hallucinations. Ces troubles, qui
ne présentent bien sûr aucune cohérence, sont
extrêmement variables d'un individu à l'autre et leur
tonalité alterne d'un pic euphorique à un creux
dépressif. L'impression d'assister à une
représentation souligne l'aspect irréel des
scènes perçues par le sujet qui, il n'est pas rare,
estimera avoir fait un rêve bizarre, sinon un
cauchemar.
Des modifications de la perception visuelle et auditive sont
quelquefois associés à la prise de certaines de ces
drogues anesthésiques et sédatives ; plus
particulièrement les opiacés et, dans un registre
différent, les hallucinogènes1.
Leurs principes actifs peuvent déterminer un fonctionnement
de l'oeil tout à fait étonnant, comme s'il
s'agissait du zoom d'un télé-objectif. La mise au
point de la netteté s'opère aussi bien de
façon macroscopique que microscopique.
Tel fut le cas de cet expérienceur dont j'ai recueilli
le témoignage. Ce retraité d'une soixantaine
d'années me raconta un épisode de cette nature,
expérimenté au décours d'une affection
douloureuse où il lui fut administré de nombreuses
injections de morphine. Il me décrivit une EMI partielle,
d'apparence plutôt atypique à première vue,
ayant succédé à un horrible cauchemar. Le
terme de son expérience, alors qu'il avait
réintégré son corps, fut marqué par
les effets secondaires de la morphine. Ceux-ci consistaient en une
vision microscopique de sa mère (hallucination
lilliputienne) assise à son chevet : " Je la
voyais petite, petite... Comme si elle était très
loin. "
Cet autre sujet, interrogé par Sabom, avait reçu
une injection de narcotiques. À cette occasion, il
différencia formellement leurs effets secondaires des
visions qu'il avait eues lors d'une EMI vécue trois
ans plus tôt. Il expérimenta, lui aussi, des
facultés visuelles peu ordinaires, mais à
l'opposé du précédent témoin. Non
informé des effets secondaires de l'injection qu'on venait
de lui faire, il rentra chez lui au volant de son
véhicule2
:
(...) Et je pouvais voir de petits
détails à grande distance. J'aurais pu vous dire
si l'arbre à 350 mètres était un
frêne ou un orme. Je pouvais le dire d'après la
forme de la feuille. Je pouvais très bien le voir. Je
pouvais regarder ce dessus de lit, ici (à
l'hôpital pendant l'entretien), et vous pouvez voir qu'il
y a de petits points et des espaces entre les points, je
pouvais regarder et vous dire chaque fibre du tissu qui
était entretissée. Je pouvais les voir une par
une, individuellement. Je pouvais regarder votre chemise depuis
ici, et je pouvais voir chaque petit trou, chaque pore de votre
chemise. Je pouvais voir ça.
Les commentaires des enquêtes de référence
menées sur les EMI s'accordent à reconnaître
que les neurotropes, et plus particulièrement les
psychotropes, diminuent la fréquence du
phénomène ou en modifient profondément le
déroulement, voire en interdisent la survenue. Osis et
Haraldsson, dans leur investigation à grande échelle
consacrée aux visions susceptibles de survenir au cours de
l'agonie, ont recueilli quantité d'éléments
qui vont dans ce sens : " Nos résultats nous
démontrent qu'un nombre très restreint de sujets qui
ont eu des visions étaient sous l'effet de telles drogues.
Par ailleurs, les patients à qui l'on en avait
administré n'ont pas eu plus de visions que les autres.
Quel qu'ait été l'effet de la médication
prescrite, elle n'a apparemment pas provoqué les
phénomènes de visions conformes à
l'hypothèse de la survie. "3.
Des témoignages d'expérienceurs étayent
également cette opinion. C'est le cas d'une patiente qui,
en état de décorporation, a vu
l'infirmière lui faire une injection intraveineuse de
sédatif. Son expérience s'interrompit à
l'instant même où le produit pénétra
dans ses veines. Kenneth Ring indique pour sa part que, parmi ses
enquêtés, le taux de non-expérienceurs
le plus élevé provenait de l'échantillon des
sujets qui avaient essayé de se suicider en absorbant des
stupéfiants ou un mélange d'alcool et de
stupéfiants.
Le fait que la grande majorité des expérienceurs
n'ait jamais été en contact avec des substances
neurotropes démontre, s'il en était besoin, qu'elles
ne peuvent contribuer à une explication d'ensemble des EMI.
C'est l'opinion de ce même Kenneth Ring qui, à propos
des anesthésiques, est assez
catégorique4 :
" Manifestement, si l'effet est parfois observé en
l'absence de la cause qu'on lui impute (c'est à dire les
anesthésiques), c'est que cette cause n'est pas suffisante
pour le déterminer. Nous en conclurons donc que, si les
anesthésiques n'excluent pas les phénomènes
associés à l'expérience du substrat
(l'expérience de mort imminente - NDA), ils ne
peuvent expliquer son apparition. "
Reste le cas particulier de la Kétamine, un
anesthésique non opioïde, dont les " vertus "
hallucinogènes ont parfois donné lieu à des
descriptions évocatrices d'une EMI. Cette substance est
aujourd'hui utilisée avec grande prudence par les
anesthésistes en raison, justement, des troubles
hallucinatoires qui lui sont imputés. Une raison
suffisante, malgré tout, pour en faire une drogue à
la mode, prisée des plus inconscients parmi les amateurs de
paradis artificiels ; c'est la fameuse Kéta
ouvitamine K des rave-parties, encore appelée
kit-kat, ket, Mister K ou simplement K. Ses effets
secondaires peuvent s'avérer extrêmement pernicieux :
amnésie sévère, tendance dépressive,
indifférence affective, hallucinations récurrentes,
voire troubles psychotiques irréversibles.
En bloquant les récepteurs NMDA
(N-Méthyl-D-aspartate) la Kétamine empêche la
réabsorption du L-glutamate, un neurotransmetteur
essentiel. Son excès dans les tissus produirait alors un
phénomène analogue à une
EMI5.
Depuis plusieurs années, un psychiatre
Néo-zélandais, Karl Jansen, se consacre à
l'étude des effets de cet anesthésique. La
publication de ses premières conclusions
révèle, comme l'on pouvait s'y attendre, certaines
similitudes entre les EMI et les expériences induites par
la Kétamine. Cependant, d'après les
témoignages, celles-ci s'apparentent davantage à une
expérience hallucinogène psychédélique
: visions colorées, sons étranges,
événements fantastiques, conviction de voler,
sentiment de toute puissance, etc. Et puis, en
référence à la précédente
réflexion de Kenneth Ring, on ne voit pas comment la
Kétamine serait en mesure de rendre compte de l'ensemble
des EMI. Cela étant, la piste de la Kétamine,
éventuel cofacteur du déclenchement de ce
phénomène, ne doit pas être
négligée. De même que le rôle des
endopsychosines qui sont des équivalents endogènes
de la Kétamine -- c'est à dire produits par
l'organisme -- et se fixent sur des récepteurs
analogues.
Que retenir, en définitive, de l'explication faisant
intervenir des neurotropes ? Comme on l'a indiqué, il
est impossible d'agréer une interprétation qui ne
s'applique ni à l'ensemble des expérienceurs, ni
à l'intégralité du phénomène
qu'ils ont vécu. Si les neurotropes en étaient la
cause il faudrait en déduire que tous les
expérienceurs auraient pris de telles substances. Ce n'est
pas le cas, bien entendu. Mais plus encore, il est
démontré que la plupart de ces molécules
tendent à limiter, à dénaturer ou à
interdire l'expression d'une EMI.
b) Le rôle des neurohormones
L'homéostasie est un état d'équilibre
interne qui conditionne le fonctionnement optimal de l'organisme.
La composition chimique de notre corps est ainsi régie par
un système de régulation très sensible
à toute variation. La maladie, elle, provoque une rupture
plus ou moins importante de cet équilibre délicat,
modifiant les valeurs de certaines constantes biochimiques. Le
cerveau, de son côté, synthétise des messagers
chimiques, les neurohormones, dont le rôle vise
justement à la meilleure adaptation de notre organisme aux
contraintes des milieux intérieur et extérieur.
Des médecins ont suggéré que le
phénomène EMI résulterait tout simplement
d'une variation du taux sanguin de certaines neurohormones. On
s'est aperçu, en effet, voici quelques années
déjà, que l'organisme humain pouvait réagir
à la douleur et au stress de façon
homéostatique par une production de substances
analgésiques et sédatives extrêmement
efficaces, les morphines endogènes : endorphines,
enképhalines et dynorphines, comparables à des
morphines naturelles - le rôle d'autres neurotransmetteurs,
telle la sérotonine et la mélatonine, a lui
été avancé (nous venons aussi
d'évoquer, plus haut, les endopsychosines). Partant du
modèle homéostatique, il était facile
d'imaginer une réponse physiologique efficace contre le
stress de l'agonie par une réaction de cet ordre. Rien
n'interdisait, de surcroît, de penser que des effets
secondaires de type hallucinatoire s'ensuivaient.
De ces morphines endogènes, soupçonnées
d'être à l'origine d'une EMI, la
béta-endorphine est à ce jour la seule dont
l'activité a été étudiée in
situ. Dans un article paru le 19 janvier 1980, The
Lancet fait part d'une communication préliminaire qui
porte sur cette expérimentation de la
bêta-endorphine. Celle-ci, y lit-on, " semble
posséder la plupart des caractéristiques du sulfate
de morphine "6,
l'analgésique synthétique de
référence.
Afin d'en tester l'efficacité on a donc injecté
de la bêta-endorphine dans le liquide
céphalo-rachidien de patients volontaires, en phase
terminale d'un cancer généralisé, qui
enduraient d'atroces douleurs. Peu de temps après
l'injection, les quatorze patients concernés ressentirent
un soulagement complet. Pour douze d'entre eux cette
amélioration spectaculaire intervint dans les cinq minutes
qui suivirent l'injection. Le soulagement total se prolongea,
selon les cas, de 22 à 73 heures ; période au cours
de laquelle les malades restèrent plongés dans un
état de somnolence ou de sommeil. La puissante
analgésie induite par la bêta-endorphine n'avait
cependant rien d'une anesthésie profonde puisque selon les
auteurs de l'étude " la perception d'une injection ou d'un
léger toucher demeurait intacte ".
Les mêmes chercheurs n'ont signalé aucune
expérience particulière, de type EMI, vécue
par ces volontaires. Peut-être ne connaissaient-ils pas ce
phénomène, à moins que les patients se soient
abstenus d'en faire état. Mais, plus probablement, aucun
d'entre eux n'a vécu une EMI, comme divers indices tendent
à le montrer. En effet, lors de ce phénomène,
la disparition de toute sensation douloureuse est limitée
à la durée, généralement brève,
de celui-ci. Le sujet reprend immédiatement contact avec la
douleur dès son retour à la
réalité et non pas dans les 22 à 73 heures.
D'autre part, la notion d'un état léthargique,
semi-conscient, ne correspond pas à l'inconscience totale,
parfois qualifiée de mort clinique, dans laquelle sont
plongés les expérienceurs. Enfin, et paradoxalement,
la conscience de ces derniers fait preuve d'une étonnante
lucidité, contrairement à que rapportent les sujets
auxquels a été injectée de la
bêta-endorphine.
En dernier lieu, on sait que les expérienceurs,
à l'inverse des cobayes qui ont testé les effets de
cette neurohormone, sont parfaitement insensibles à un
" léger toucher " ou à une quelconque
stimulation (piqûre, pincement). Ce qui s'inscrit dans une
certaine logique puisqu'ils se prétendent, à ce
moment-là, en dehors de leur corps.
Sabom7
illustre le fait par le cas de cette femme qui,
extériorisée, a vu, elle aussi, le
médecin lui introduire une aiguille dans le poignet et
témoigne avec humour : " C'est la première fois que
je peux honnêtement dire qu'une intraveineuse ne m'a pas
fait mal. "
En somme, dans le déroulement d'une EMI, le rôle
supposé de la bêta-endorphine ou d'un
analgésique naturel analogue se limiterait à la
première phase, marquée par une sensation de
bien-être et par la disparition de la douleur ; et cette
analgésie devrait intervenir dans l'instant et non pas dans
les minutes qui suivent. Une augmentation du taux sanguin d'une
quelconque endomorphine ne semble pas, en revanche, être
impliquée dans la suite du processus d'une EMI.
Il reste donc permit de faire l'hypothèse qu'un
neurotransmetteur encore à découvrir - le glutamate
est assez souvent évoqué -, pourrait agir à
la manière d'un cofacteur, là aussi, dans le
déclenchement d'une EMI. Mais peut-être faudrait-il
plutôt invoquer un cocktail de neurotransmetteurs
?
c) Les modifications du taux des gaz
sanguins
Si des scientifiques estiment que le phénomène
EMI résulte d'une variation du taux sanguin de certaines
neurohormones, d'autres penchent plutôt pour une
perturbation de constantes chimiques non
hormonales.
Anoxie et hypoxie cérébrales
L'anoxie désigne la baisse notable, voire
l'arrêt, de la distribution d'oxygène sanguin dans
les tissus. Lorsque cette baisse est modeste on parle d'hypoxie.
Celle-ci est caractéristique du début de l'agonie,
mais elle peut aussi résulter d'une pathologie beaucoup
plus explicite que ce terme vague d'agonie.
L'hypoxie fut étudiée dans des conditions
expérimentales au cours desquelles des volontaires
étaient enfermés dans un caisson étanche
appauvri en oxygène. Des expéditions en haute
altitude firent également l'objet d'observations
scientifiques. Sabom, pour chacune de ces deux procédures,
résume les effets de l'hypoxie qu'il met rapidement hors de
cause dans l'explication des EMI8
:
(...) Ils découvrirent
que, comme le niveau d'apport en oxygène diminuait, les capacités mentales
et physiques des sujets se délabraient progressivement jusqu'à
l'apparition de convulsions et l'arrêt de la respiration. Aucune
expérience du type aux frontières de la mort ne fut signalée. (...) les
alpinistes exposés aux conditions hypoxiques que l'on rencontre à grande
altitude signalaient qu'il leur fallait fournir le plus grand effort pour
mener à bien leurs tâches, qu'ils ressentaient de la paresse mentale, une
irritabilité importante, des difficultés à se concentrer, de la lenteur de
raisonnement et des troubles de la mémoire.
Ces observations montrent que lorsque diminue l'apport en
oxygène au cerveau, confusion et délabrement
progressif des facultés cognitives s'installent. Un tableau
qui est en contraste marqué avec la clarté de
l'activité mentale et la lucidité décrites
par ceux qui ont vécu une EMI.
L'hypercapnie
L'hypercapnie correspond à l'augmentation du taux de
dioxyde de carbone (CO2) dans les tissus. Si les
conséquences d'une hypoxie ne révèlent aucune
analogie avec la description d'une EMI, l'augmentation du CO2
cérébral, toujours dans des conditions
expérimentales, semble avoir donné lieu, pour
quelques volontaires, à des vécus qui s'en
approchent.
Nous possédons sur ce sujet au moins une observation,
que cite une fois encore Michael Sabom, effectuée dans les
années cinquante par L.J. Meduna, un psychiatre de
l'université de l'Illinois. Celui-ci sélectionna 150
patients souffrant de troubles neuropsychologiques, auxquels il
adjoignit un groupe témoin de cinquante personnes dont
l'état de santé était jugé
satisfaisant. Il soumit ces volontaires à des
séances expérimentales au cours desquelles il leur
fit inhaler un mélange gazeux riche en dioxyde de carbone.
Le mélange de Meduna était composé de 30% de
CO2 pour 70% d'O2, alors que l'air que nous respirons (77%
d'azote, 22% d'oxygène et 1% de gaz divers) ne contient
habituellement pas de CO2 -- compte non tenu de la pollution !
Remarquons aussi que l'azote, dont l'excès dans le sang est
à l'origine de troubles neurologiques comme l'ivresse des
profondeurs, était totalement absent de ce mélange
gazeux.
Quelques-uns parmi les sujets de Meduna décrivirent une
expérience présentant quelques similitudes avec une
EMI. Voici par exemple ce que vécut l'un des volontaires
dont Sabom rapporte les propos9
: " Je me sentais séparé de moi-même, mon
âme se séparait de mon corps, elle était
entraînée vers le haut, apparemment pour quitter la
terre, pour monter là où elle a rencontré un
Être plus élevé avec Lequel il y a eu
communion, ce qui m'a donné une détente nouvelle,
remarquable, et une profonde sécurité. "
Devant l'indéniable connotation transcendantale de ce
témoignage, peut-être allez-vous penser que nous
tenons enfin la véritable cause des EMI. Celles-ci
résulteraient tout bonnement d'un mécanisme banal
mettant en cause un excès de CO2 cérébral.
Mais il y a un hic ! Et toujours le même. En effet, la
perspective de la seule responsabilité du CO2 laisserait
entendre, de même que pour les modèles explicatifs
antérieurs, que tous les expérienceurs en auraient
été victimes. Ce qui n'est absolument pas le
cas.
En revanche, et malgré le fait que Meduna dise n'avoir
observé aucun effet secondaire sérieux, il n'est pas
interdit de penser, au vu de ce que l'on sait aujourd'hui des
intoxications par le CO2, que des sujets de son
échantillon, dans une faible proportion sans doute, ont
vécu une EMI. Et la raison en est évidente : ils se
sont réellement trouvés dans un état critique
proche de la mort.
Meduna, qui à cette occasion semble avoir joué
les apprenti-sorciers, ne retint pas l'hypothèse du CO2
inducteur d'un phénomène particulier de la
conscience. Il situa l'explication de la trame commune des
curieuses expériences qu'il avait observées dans un
cadre purement mécaniste, suggérant l'occurrence de
" quelque fonction sous-jacente d'une structure
cérébrale. " On appréciera la finesse de
l'esquive...
L'hyperoxie
On appelle hyperoxie la concentration anormalement
élevée d'oxygène dans les tissus. De la
précédente expérimentation de Meduna on a
retenu que le mélange gazeux utilisé était
très riche en oxygène, 70%, contre 22% pour l'air
que nous respirons habituellement. Ce qui amène à se
demander si la responsabilité d'un taux d'oxygène
élevé n'aurait pas été
sous-estimée.
Il est d'autres circonstances, d'ailleurs, où le taux
d'oxygène tissulaire est sensiblement augmenté.
C'est le cas, par exemple, lors d'une réanimation au cours
de laquelle est administré de l'oxygène à
fortes doses. Sabom, à nouveau lui, relève le cas
d'un patient qui bénéficiait d'un apport massif
d'oxygène dans le cadre d'une procédure de
réanimation. Au cours de celle-ci, intervenue à la
suite d'un arrêt cardiaque, cet homme vécut une EMI
au moment même où on lui faisait un
prélèvement de sang
artériel10 :
(...) Pendant son expérience
autoscopique, alors qu'il était sans connaissance, il a
clairement observé comment un médecin lui
plaçait une aiguille dans l'aine pour prélever du
sang dans l'artère fémorale en vue d'une analyse
des gaz sanguins. Les résultats du laboratoire ont
montré un taux d'oxygène bien supérieur
à la normale (ce qui est fréquent quand on
administre au patient de fortes concentrations en
oxygène pendant la réanimation cardio-pulmonaire)
et un taux de dioxyde de carbone artériel en fait
inférieur à la normale (les valeurs effectives
étaient : pO2=138, pCO2=28,
pH=7,46)11.
Le fait qu'il avait observé " visuellement " cette
prise de sang indique que le prélèvement a
été effectué au moment où son
expérience avait lieu. Donc, dans ce seul cas
documenté, il n'y a ni taux d'oxygène bas
(hypoxie), ni taux de dioxyde de carbone élevé
(hypercapnie) qui expliquerait l'expérience aux
frontières de la mort !
Un taux d'oxygène sanguin anormalement
élevé serait-il, dans le cas présent, de
nature à favoriser l'expression d'une EMI ? C'est peu
probable, là aussi, si l'on considère l'hyperoxie
comme le facteur exclusif de celle-ci. En effet, un nombre
important de patients ayant connu une EMI à
l'hôpital, hors les cas d'oxygénothérapie
réanimatoire., souffraient plutôt d'une
hypoxie12.
C'est le cas des victimes de diverses formes d'étouffement
(noyade, strangulation, fausse-route alimentaire, etc.) chez
lesquels l'apport en oxygène cérébral est
rapidement interrompu.
En dépit de ces remarques, notons que la piste de
l'hyperoxie ne saurait être moins recevable qu'une autre.
C'est par exemple avec l'appoint d'une technique
d'hyperventilation respiratoire, permettant d'accroître le
taux d'oxygène artériel et en conséquence
cérébral, que des sujets se livrant à des
formes particulières de méditation accèdent
à un état de conscience élargie très
proche quelquefois du tableau de l'EMI.
De même que Sabom, Stanislav Grof, qui préconise
justement une thérapie basée sur une forme
particulière d'hyperventilation (respiration holotropique),
ne rejette pas l'hypothèse d'une induction liée
à la modification de constantes biochimiques, dont les taux
des gaz du sang.
Il aurait encore été possible d'opposer aux
affirmations des plus sceptiques l'énigme des
phénomènes paranormaux associés à de
nombreuses EMI. Comment expliquer la vision autoscopique ? Comment
expliquer certaines visions clairvoyantes pendant une EMI ?
Comment expliquer qu'un moribond qui vit une expérience de
décorporation puisse lire dans les pensées de
personnes présentent autour de son lit ? Et tous ces
vécus ineffables de nature transcendante : lumière,
fusion cosmique et amour ? Et ce changement de comportement qui
succède à une EMI et s'exprime par des
répercussions positives ? Et objectives, cette fois-ci,
puisque confirmées par des proches souvent
interloqués.
Les plus farouches partisans d'une science omnipotente parlent
de faits anecdotiques, sans valeur. Ils affirment, preuves
à l'appui, que la science a désormais
dévoilé le mystère des EMI. Mais on vient
justement de voir ce qu'il en était de ces preuves. Elles
relèvent de la spéculation, voire de la
désinformation, et ne possèdent aucune pertinence
dans l'explication des EMI. C'est aux sceptiques eux-mêmes
qu'il revient désormais d'étayer leurs affirmations
avec beaucoup plus de rigueur. Mais, pour qu'une explication soit
recevable en ce domaine, il lui faudra à l'avenir rendre
compte d'un mécanisme de l'EMI transposable à toute
personne ayant vécu le phénomène, quel qu'en
soit le contexte inducteur.
Toutefois, si aucune interprétation scientifique
à ce jour n'est en mesure de rendre compte d'une EMI dans
son intégralité, cela ne signifie pas que l'une ou
l'autre des hypothèses neurochimiques susmentionnées
soit sans objet dans la production ou, peut-être, le
déroulement du phénomène. Mais on est encore
loin d'avoir établi la responsabilité des agents en
cause, dont le rôle semble limité à celui d'un
cofacteur. D'autant que, selon les grandes enquêtes de
référence, ces substances tendent à modifier,
sinon à interdire, l'expression d'une EMI.
Mais, au terme de cette réflexion, est-il vraiment
justifié de penser le cerveau comme l'outil indispensable
à l'émergence d'une EMI ? Légitimant
ainsi les habituelles explications mécanistes. La question
mériterait sans aucun doute d'être examinée
avec la meilleure attention. Personnellement, je lui oppose
l'hypothèse vitaliste d'un cerveau fonctionnant comme un
simple filtre, ainsi que le postulait Bergson. Il en
résulte que la matière cérébrale est
une modalité d'expression de la conscience, excluant que
celle-ci soit créée par celle-là.
Les neurosciences parviendront-elles à expliquer
l'influence exercée sur la matière sans forme par
cette forme sans matière ? Personne à ce jour
n'a su relever ce défi, que les EMI portent en germe, et il
est à craindre que notre méthode cartésienne
soit peu opérante en ce domaine.
Le choix énoncé au début de ce chapitre
était de rejoindre la science sur son propre terrain. Cet
objectif a été tenu et nous a montré que les
propositions avancées par certains scientifiques
témoignent avant tout de leur méconnaissance des EMI
et de leurs a priori réductionnistes. Les
spécialistes de la question appelés à
témoigner ont fait, pour leur part, bon usage des
règles de la science. Leurs investigations, et je pense
tout particulièrement à celle menée par
Michael Sabom, procèdent avant tout de l'observation, de
laquelle se déduit ensuite le raisonnement. Toutefois, si
les solutions proposées par la science ne permettent pas
d'expliquer les EMI, leur examen n'a pas été inutile
puisqu'il nous a permis, malgré tout, de comprendre ce
qu'elles ne sont pas.
____________
1)
Les troubles les plus fréquents sont des
synesthésies acoustico-visuelles : le sujet entend
les couleurs et voit les sons.
5)
Pour de plus amples informations à propos de
l'hypothèse de la Kétamine voir l'excellent article
du docteur Jean-Pierre Jourdan, dans La mort
Transfigurée, page 165 et suiv. Cf. bibliographie
11)
Les valeurs moyennes (sang artériel) se situent autour de
90 à 112 pour le pO2, 40 pour le pCO2 et 7,4 pour le
pH.
12)
Il convient de relativiser le rôle de l'hyperoxie car on
peut très bien se trouver en présence d'une
hyperoxie périphérique simultanément à
une hypoxie cérébrale. Auquel des deux facteurs
faudrait-il alors attribuer le déclenchement de
l'EMI..?